L'eau, un bien commun
Comprendre les enjeux des cycles planétaires
Dire que la gestion de l’eau est un enjeu majeur de viabilité de nos sociétés à l’échelle mondiale est une banalité. Encore faut-il bien savoir de quoi nous parlons, et examiner avec pragmatisme les voies qui permettent de relever ce défi. La revue PCM m’a proposé de consacrer deux numéros successifs à ce sujet. Nous avons fait le choix de sortir du cadre français, et même européen, pour éclairer le débat international actuel. Non par désintérêt de nos préoccupations quotidiennes, mais au contraire pour les nourrir de la compréhension et de l’expérience d’autres continents, dont les tensions autour de l’eau sont parfois bien plus graves que les nôtres.
Ce thème fera donc l’objet de deux éditions : comprendre, et agir. Le livre « L’eau dans le monde – Comprendre et agir »*, issu de mon cours à l’ENPC, réunit ces deux dimensions.
Pour ce premier numéro, nous avons demandé aux chercheurs, aux décideurs et aux praticiens des contributions qui éclairent les diverses facettes de cette très riche actualité.
Il y a d’abord les débats internationaux, dont Barbara Pompili explique l’enchaînement de grands événements mondiaux. Notamment la nomination, au 1er novembre 2024, de l’envoyée spéciale aux Nations unies, madame Retno L.P. Marsudi, ministre indonésienne des Affaires étrangères, qui a accueilli la conférence ministérielle à l’occasion du 10e Forum mondial de l’eau à Bali, en mai 2024, dont Patrick Lavarde nous rend compte.
Les droits humains intègrent l'accès à l'eau potable et à l’assainissement. On est loin du compte, et les tendances sont encore très préoccupantes. Une mobilisation de tous pour retrouver de la dignité est indispensable, comme le rappelle Gérard Payen. Au-delà, André Viola montre comment l’eau est partie prenante majeure de la plupart des objectifs de développement durable.
La question du cycle de l’eau est assez largement abordée car les travaux récents montrent à quel point il est important de savoir combiner plusieurs échelles d’observation. Hervé Douville dresse un tableau des dernières connaissances sur l’évolution du cycle de l’eau dans le contexte de changement climatique. Le « penser global, agir local » des années 1970 s’étoffe aujourd’hui d'une vision de bien commun planétaire. Daniel Zimmer et al. mettent en avant le recyclage continental de l’évaporation, et en complément, je développe l’empreinte eau des usages et les flux d’eau virtuelle du commerce international. Ces concepts montrent à quel point l’eau est un bien commun et sa gestion ne peut connaître de frontière : au-delà des bassins et aquifères transfrontaliers, il faut agir globalement, à une échelle où pourtant, pour l’instant, elle n’est pas gérée.
La relation à l’eau des sociétés est complexe. C’est tour à tour un bien économique qui ressemble à un bien marchand (pour l’énergie, l’agriculture, l’élevage, les transports, etc.), un bien de club (équipements collectifs, réseaux d’irrigation, d’adduction d’eau potable ou d’assainissement, qui partagent les coûts d’un service), un bien public dans les pays où l’eau ou les bords des rivières sont la propriété des pouvoirs publics qui en octroient les droits d’usage. Mais c’est essentiellement un bien commun au sens d’Elinor Oström quand il s’agit de respecter les milieux, les autres usages, d’user sans abuser… Xavier Leflaive dresse un tableau des mécanismes modernes de financement qui tentent de prendre en compte ces dimensions.
Les mutations nécessaires demandent plus d'intervention publique,
et plus de rapidité d'adaptation de la société et des usages.
La pression des usages rend les démarches de sobriété plus nécessaires que jamais, les solutions fondées sur la nature, et des approches par bassins versants, dans une logique de gestion intégrée des ressources en eau que connaît bien la France et que rappelle Eric Tardieu en insistant sur les bénéfices des relations entre autorités de bassins. Remettre les enjeux de biodiversité au cœur de ces politiques n’est pas un luxe mais une condition de survie collective, tant les milieux aquatiques ont connu de dégradation, ce que souligne Olivier Thibault. Il faut aussi relier les enjeux des déchets solides et des flux d’assainissement, on le verra dans le prochain numéro.
Les mutations nécessaires demandent plus de prospective et de planification, c’est-à-dire plus d’intervention publique, et plus de rapidité d’adaptation de la société et des usages. Aziza Akhmouch présente une palette d’outils de bonne gouvernance développés par l’OCDE. Son application dans des pays et des contextes politiques très variés montre l’énorme impact des choix de gouvernance.
Les savoirs scientifiques connaissent un grand bouillonnement créatif, avec des précisions inégalées sur les prospectives liées aux changements climatiques (le cycle de l’eau est la part la plus difficile à cerner de ces bouleversements), les concepts évoqués et de nouvelles approches agronomiques liant eau et sol vivant, comme l’hydrologie régénérative. Les articles complémentaires de Charlène Descollonges et de Sami Bouarfa et al. témoignent de la diversité des approches de ces questions.
Les eaux pluviales, les infiltrations et les inondations sont les principales menaces naturelles sur les infrastructures. Plus de robustesse et de résilience aux aléas climatiques nécessitent une révision profonde de la conception de celles-ci. Là aussi, nous y reviendrons avec des exemples dans le prochain numéro.
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